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Interview d'Olivier Phan, pédopsychiatre concernant les consommations chez les ados

À l'adolescence, on observe une recrudescence des comportements à risque, qui vont parfois jusqu'à des mises en danger sérieuses. Faites-vous des différences entre les risques et les dangers ? Que dire aux parents sur le sujet ?

Interview d'Olivier Phan, médecin pédopsychiatre, addictologue et docteur en Neurosciences.

Consommations : quels sont les risques et les dangers ?

La réponse d'Olivier Phan

Le risque fait partie du processus normal du développement de l’adolescence. Prendre des risques, c’est s’autonomiser, vivre de nouvelles expériences, faire avancer aussi la science et les connaissances. Donc le risque n’est pas forcément signe de pathologie, au contraire.

Chez les adolescents trop sur les écrans, l’absence de prise de risque peut aussi être considérée comme une difficulté de développement. À partir de là, pour les parents, empêcher tout risque va à l’encontre du développement de l’adolescence et peut altérer la relation entre parent et enfant. Cependant, si la prise de risque s’accompagne d’une mise en danger, elle est de moins en moins acceptable dans notre société. Les accidents liés à la mise en danger font la une des journaux, et du coup deviennent inacceptables pour l’ensemble de la population.

Il s’agit d’expliquer à l’adolescent la différence qu’il y a entre la prise de risque et la mise en danger. En sachant que, plus on est dans la prise de risque, plus il faut prendre des mesures de sécurité pour éviter la mise en danger. Prenons l’exemple des sportifs de l’extrême. Les sportifs de l’extrême ne sont pas suicidaires, ils recherchent les sensations avec cette prise de risque. Mais plus on prend de risques, plus on va prendre des mesures de sécurité. Et les sportifs de l’extrême s’entourent d’une tonne de mesures de sécurité.

Par conséquent, par rapport à toute prise de risque chez un adolescent, le parent aura en charge de vérifier que les mesures de sécurité ont été bien prises. Je dirai qu’escalader Montmartre à Paris ou escalader le mont Blanc dans les Alpes ne nécessitera pas le même équipement et pas les mêmes mesures de sécurité.

Toute prise de risque, qu’elle soit sexuelle, comportementale ou à travers une activité, doit être accompagnée de mesures de sécurité.

Par exemple, la multiplication des partenaires nécessite des protections par rapport à la santé et aux infections sexuellement transmissibles. L’organisation d’une soirée à 5 personnes, 15 personnes ou 20 personnes ne nécessite pas les mêmes mesures de sécurité. Donc, ce qu’il faut expliquer aux parents, c’est la différence qu’il y a entre les deux : l’un étant normal, l’autre étant inacceptable.

Et c’est tout l’art des parents d’accompagner l’adolescent dans cela. Et l’une des manières est de l’accompagner, par exemple, dans le développement des compétences psychosociales, notamment le sens critique. Quand il y a des alcoolisations massives en groupe et qu’un adolescent se met à avoir une conduite à risque, il est important que chaque adolescent garde son sens critique et l’en empêche plutôt que de s’associer au groupe.

Consommations : dépendance ou indépendance ?

La réponse d'Olivier Phan

Il y a un paradoxe dans notre société du XXIe siècle, à savoir que l’acquisition de l’indépendance nécessite de plus en plus d’apprentissages. L’âge moyen de départ d’un adolescent de la maison, c’est 24 ans. Cela veut dire que pour prendre son indépendance, l’adolescent aura à acquérir un certain nombre de compétences sociales, faire des études pour acquérir cette situation d’indépendance. Par le même temps, à côté de cet apprentissage, il y a de plus en plus d’offres, que ce soit au niveau des produits, des jeux vidéo qui créent ces mécanismes de dépendance auxquels le parent aura à faire face.

Alors pour représenter l’aide des parents et les liens des parents aux adolescents, imaginez que le parent cherche à apprendre à nager à un adolescent, dans un milieu où il y a de plus en plus de vagues et où l’apprentissage de la nage va devenir de plus en plus complexe. La difficulté qu’il a, c’est que certains adolescents auront besoin de boire un petit peu la tasse pour essayer d’apprendre. Et effectivement, ce sont les adolescents les plus fragiles qui seront moins sensibles à l’apprentissage intellectuel et qui auront besoin de faire leur expérience à travers des expériences pratiques, c’est-à-dire apprendre à nager et se dire « ou on boit la tasse ou on coule », et c’est là qu’on commence à nager.

Alors se pose le problème chez le parent où on est trop anxieux et on ne supporte pas quand l’enfant boit la tasse et on va essayer de le soutenir tout le temps. Mais quand on le soutient tout le temps, il n’arrive pas à apprendre à nager, du coup il commence à se débattre, à donner des coups. Et l’idée chez les parents, c’est de progressivement lâcher prise. Mais plus ils tardent plus l’enfant boit la tasse, et plus l’enfant boit la tasse plus ils sont inquiets et plus ils ont tendance à vouloir le soutenir. 

Donc je dirai qu’il n’y a pas de recette magique pour les parents. Mais dire simplement qu’évidemment il ne faut pas que l’adolescent coule, mais parfois accepter qu’il boive un petit peu la tasse. Parce que c’est à ce moment-là qu’il va apprendre à nager.

Tout cela pour dire que l’acquisition de l’indépendance nécessite l’expérience parfois un peu douloureuse, pour effectivement acquérir cette autonomie à la force du poignet et en buvant un petit peu la tasse. Ce qui n’est pas grave ! Laisser boire la tasse sans laisser couler, c’est ce qu’on peut résumer pour les parents.

Risques et dangers : L'interview vidéo d'Olivier Phan
Dépendance et indépendance : L'interview vidéo d'Olivier Phan

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